#01 MANIFESTE DE LA RUMANCE

[ 15.02.2018 ]

Toi lecteur qui a été enfant, tu te souviens probablement de la ronde des questions innocentes dont les réponses sont cruciales et pourtant si difficiles à formuler. Pourquoi le ciel est-il bleu ? Est-ce le ciel qui reflète la mer ? Ou est-ce l’inverse ? D’où viennent les bébés ? Parfois, une notion de géographie aura aidé. Parfois, la poésie aura éludé un sujet épineux.

manifeste rumance

© photo Jessica Laguerre

J’ai été de ces enfants aux pourquoi infinis, dont le temps a érodé les questions et qui s’est un moment satisfait de réponses rapides et souvent incomplètes, jusqu’à ce que mes papilles se rebellent à la découverte d’un rhum blanc qui n’avait rien à voir avec mes souvenirs. C’était un soir, à Port-of-Spain, il y a plus de dix ans, quand j’avais voulu servir un Ti Punch à des amis. Ce soir-là, le rhum a réveillé l’impatience du pourquoi, le besoin impérieux de comprendre, l’impertinence de chercher les réponses ailleurs.

Pourquoi la différence ? Pourquoi le goût ? Pourquoi le rhum lui-même ? A mesure de recherches, les réponses sont apparues, plus ou moins définitives…

 
 
 

Agricole, traditionnel, vieux, ambré, blanc, toutes ces catégories se sont révélées dans leur imperfection descriptive, comme le mot océan ne dit ni la tempête, ni la plage, ni la mangrove, ni les abysses.

Loin des grandes villes et du bruit des foules, j’ai choisi les chemins de traverse de la terre. Ils m’ont chuchoté que la Caraïbe a été forgée au gré de la canne et du rhum. Les vents m’ont soufflé que dans la Caraïbe se lit l’histoire du monde. J’ai pris ce chemin qui commence aux pourquoi et s’émerveille du comment. Je l’ai appelé Rumance. Mais chut, c’est encore un secret.

Ces pépites intemporelles truffent les terres de rhum. Elles enchantent leurs paysages et nos bouteilles. Le nom de la marque Darboussier rappelle une époque où Pointe-à-Pitre vivait au rythme des barges. Pour moi, Darboussier fait le trait d’union entre Ernest Souques, Saint-John Perse et « Vélo ». Il dessine une circulation contemporaine au creux de cette même ville et appelle un nouveau regard. Le nom de Caroni vibre : hier une distillerie, ici un marécage, ailleurs une note aromatique incomparable qui parle à tous de Trinidad. Du mot au lieu, d’un nom à la marque, de la marque au goût. Quel parcours !

A l’ombre des chais, dans la chaleur des champs ou le silence des archives, la Rumance désigne le charme insolite des rituels que l’on découvre ou que l’on crée. Partout, le rhum relie les hommes, pour peu que les langues se délient. Qui sait ce qui de la précision de la technique ou des ellipses de la poésie restituera au plus juste, l’amour de la terre et des hommes ?

Les chemins qui mènent au rhum sont multiples. Pour moi, le seul chemin qui vaille est celui qui prend le temps d’associer la rumeur de la nuit, l’odeur du champ et le motif d’une bouteille, celui qui reconstruit, à chaque goutte de rhum, l’océan de créations et de savoirs qui y est contenu.

Lecteur, pour naviguer cet océan, pour cette navigation-là, tu es le seul capitaine du navire. Tes cinq sens sont ton sextant et ta mémoire, un portulan. Quelle sera ta voie, Capitaine ? Choisiras-tu la route de la soif et du pirate ? Ou choisiras-tu celle du speak-easy et du cigare ? Ou encore, celle du cocktail ou du tiki peut-être?

J’aime à dire que la dégustation est le chemin le plus long pour parvenir au plaisir. Et toi, prendras-tu avec moi le chemin de la Rumance ?

Par Jessica Toumson
Fondatrice du site Rumantics.com

 

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