#11 ...Etienne Houot, Rhum Manutea

Marika de Pompignan (MDP) et Philippe de Pompignan (PDP)
Bonjour Etienne, nous vous remercions de vous être rendu disponible pour réaliser ce Tête-à-Tête que nous sommes très heureux de consacrer à votre marque, Manutea (ndlr. Le « u » en polynésien se prononce « ou », il faut donc dire « Manoutea »), une petite perle originaire de Tahiti…

En premier lieu nous voulions revenir sur la naissance de Manutea et savoir quel était le point de départ de cette si belle aventure ?

EH. L'histoire de la distillerie commence en 1983. A l’époque, nous sommes producteurs de jus de fruits sur l’île de Moorea - île sœur qui se trouve juste en face de Tahiti - où nous valorisons et transformons l'ananas « Queen Tahiti » qui pousse sur cette île. Les drêches d'ananas - résidu de la transformation du fruit en jus - n’étaient alors pas valorisées. En 1983, la distillerie a donc lancé ses premières fermentations et distillations pour fabriquer une eau-de-vie d’ananas et ainsi est née la Distillerie de « Tahiti-Moorea », renommée en 2001 « Manutea Tahiti ».

MDP. Pourquoi avez-vous fait ce changement ?

EH. Alors tout simplement parce que le terme « distillerie » à l'époque faisait trop allusion aux boissons alcoolisées que le gouvernement polynésien et les services publics ont en ligne de mire, compte tenu des maux qu’elles peuvent engendrer. Le terme distillerie n’avait donc pas vraiment bonne cote, raison pour laquelle la marque a été renommée, même si l'activité principale n'a pas évolué pour autant.

MDP. D’ailleurs que signifie « Manutea » ?

EH. « Manu » signifie l'oiseau en tahitien et « Tea » signifie clair, blanc pur. C’est cette histoire que l’on voulait raconter sur nos étiquettes, comme un clin d'œil aux navigateurs polynésiens qui, au départ de l'Asie du Sud-Est, ont conquis l'ensemble du Pacifique avec leurs pirogues doubles et qui, lorsqu’après de longs mois de traversée, apercevant ces oiseaux, savaient que la terre était proche. C’était donc un vrai signe d'espoir pour ces hommes. Cette illustration de navigation présente sur nos étiquettes fait aussi écho à l'histoire de la canne dans le Pacifique puisque, de l'Asie du Sud-Est en passant par l'Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ces navigateurs ont fait voyager sur leurs pirogues leurs fruits, leurs légumes, et toute une diversité de végétaux qu'ils ont su ensuite réintroduire et domestiquer dans les îles afin de nourrir les populations. De ce fait, celles-ci ont crû assez vite, jusqu'à atteindre des chiffres plus importants que ceux que l’on a aujourd'hui. Puis l'arrivée des Européens et de différentes maladies les ont décimées en grande partie. Il est donc vrai qu’entre 800 et 1000 après Jésus-Christ, la canne a voyagé sur ces pirogues dans l'ensemble du Pacifique.

Dictionnaire raisonné et universel d’Agriculture et La décade philosophique littéraire et politiqueIllustration originale présente sur l’étiquette des rhums Manutea / Logo de la marque © Manutea

EH. De fait, il y a une antériorité de la canne dans notre région par rapport au bassin caribéen puisque l'on sait que c'est Christophe Colomb qui l'a introduite à la fin du XVème siècle.

Les populations l'utilisaient pour deux raisons principales. La première, c’est qu’elle était dans leur pharmacopée traditionnelle car elle était un « support » pour la plupart des médicaments réalisés à base de plantes. Du fait de sa sucrosité et de sa rondeur, elle permettait d’une part de faire avaler plus facilement les différents remèdes établis par les « Tahu'a » - prêtres polynésiens - qui exerçaient cette médecine-là. D’autre part, elle permettait également aux enfants de se faire les dents et aux adultes de pouvoir mâchouiller des bâtons sucrés. Ce petit plaisir était leurs bonbons de l'époque !

PDP. C’est vrai que l’on pense instinctivement que la canne est le fruit des Antilles alors qu’en réalité elle est arrivée en Asie bien avant. Concernant les îles polynésiennes, quand le pas a-t-il été franchi entre la canne et le rhum ?

EH. Lorsque les Européens vont arriver à Tahiti à la fin du 17ème siècle, ils seront d’abord étonnés de constater que la canne y est présente. Philibert Commerson - botaniste de Bougainville - la baptisera « Otaïti » qui signifie littéralement « de Tahiti ». Bougainville - comme Cook - ont alors ramassé des plants de cette canne qu’ils ont disséminés à l'île Maurice, à la Réunion, à Hawaii et dans le bassin caribéen, la faisant ainsi voyager à travers le monde. Le Dictionnaire de l'Agriculture raisonnée - comme d’autres écrits - relatent d’ailleurs que cette variété de canne a été la plus cultivée au monde pendant une grande moitié du 19ème siècle avant d’être petit à petit remplacée par des variétés plus résistantes puis, fin 19ème début 20ème, par les premières variétés hybrides. Les Européens avaient donc reconnu sa qualité, due à un cycle végétatif plus court que celui de la canne créole qu’ils connaissaient à l'époque. Une canne qui produisait donc plus vite et dont la teneur en sucre était également remarquable.

Dictionnaire raisonné et universel d’Agriculture et La décade philosophique littéraire et politique« Dictionnaire raisonné et universel d’Agriculture » Otaïti - 1809 » / « La décade philosophique littéraire et politique » Otaïti - 1800.

EH. Les Européens n'ont toutefois pas - ou peu - tenté de mettre en place une industrie sucrière, compte tenu de l’éloignement géographique de la Polynésie. Les premiers qui tentèrent d’implanter quelques moulins pour transformer la canne en sucre furent les protestants anglais, début 19ème, par le biais de la London Missionary Society. On estime la première plantation de canne à sucre et la première installation d’un moulin aux alentours de 1820, sur Moorea d'ailleurs.

Cependant le Roi de l’époque, Pōmare, craignait que ces Anglais convertissent toutes les populations, ce qui créa des rebellions chez les travailleurs.

King Pomare et Reverend Samuel MarsdenRoi Pōmare II © Pacific Islands Monthly - March 1965 / Révérend Samuel Marsden - London Missionary Society © Pacific Islands Monthly - March 1965

EH. La plupart de ces tentatives ont donc avorté et ce n’est véritablement qu’à partir de la seconde moitié du 19ème siècle qu’elles aboutiront, notamment grâce à l'introduction d'une main d'œuvre chinoise qui travaille dans les champs de coton et de canne à sucre. C’est à ce moment qu’a lieu, pour la première fois, une production de sucre et de rhum à Tahiti proprement dit.

Tahiti – Coupe de la Canne à SucreTahiti - Coupe de la Canne à Sucre « Otaïti »

EH. Un peu d'exportation avait également été réalisée, notamment pour la Grande Exposition universelle de Paris au tout début du 20ème siècle. Par la suite, l’effort que supposaient les différentes guerres mondiales et le fait que les hommes soient allés prêter main forte au front ont, petit à petit, créé sa disparition. Ce n’est qu'en 1992 que la distillerie Tamure - également appelée distillerie Moux - valorisera de nouveau la canne en relançant la production de rhum.

PDP. Les toutes premières tentatives de production de rhum sur les exploitations sucrières utilisaient donc la mélasse (résidu de l’industrie sucrière) ?

EH. Exactement. Les premiers rhums « pur jus » sont très récents dans l'histoire de la Polynésie car, lorsque la distillerie Moux est créée, en 1991, son fondateur David - qui avait d’ailleurs été formé aux techniques de fabrication de rhum pur jus du côté de de la Guadeloupe ou de Marie-Galante, je ne sais plus - trouvait qu’il présentait un profil trop sec pour la population polynésienne. Il rallongeait alors ses vesous avec du sucre pour obtenir des rhums avec davantage de rondeur. Ce n'est qu'en 2015 que deux distilleries remettront au goût du jour la production de rhum dans le « style agricole ». Les premières campagnes se font cette même année, marquée par un renouveau de la canne et des plantations. Elles ont lieu sur les îles sous le vent et notamment sur l'île de Taha, où des planteurs affichent déjà leur volonté de produire des rhums premiums.

PDP. Il y a quatre distilleries présentes en Polynésie, que pouvez-vous nous dire des terroirs sur lesquels s’appuie chacune d’entre elles pour constituer son ADN ?

EH. Alors bien sûr, le rhum polynésien affiche une trame commune, mais l’on observe bien différents types de rhums obtenus par une diversité des terroirs. Tahaa par exemple, est une île haute et humide qui va développer un côté sous bois auquel on attribue le marqueur truffe blanche que l’on retrouve sur nos blancs 50° et Quintessence 59,9°. Moorea, quant à elle, est une île plus sèche qui va développer un côté végétal plus marqué, avec des notes mentholées, anisées. Les atolls apportent également un profil différent puisque la canne à sucre qui est plantée à Rangiroa puise sa richesse dans des sols calcaires offrant des rhums au profil plus minéraux, plus salins. Il existe donc bien des différences d’une île à l’autre, d’une climatologie à l’autre, d’un terroir à l’autre.

PDP. Concernant la distillation, quelle est l’approche de Manutea ? Utilisez-vous des procédés comparables à ceux des Antilles françaises ?

EH. Chez Manutea nous avons gardé l’héritage de notre savoir-faire initial, à savoir la distillation d’eau-de-vie de fruit. Pour cette raison, on a toujours travaillé sur alambic avec une distillation discontinue par batch, donc avec une séparation « tête-cœur-queue » à chaque distillation. Il s’agit d’un alambic Holstein, 100 % cuivre, qui reste néanmoins un alambic hybride dans le sens où il y a un chapeau col de cygne puis un passage sur une petite colonne de rectification à quatre plateaux. Si aujourd'hui on passe principalement par la colonne, on va continuer - car on l’a déjà fait - à travailler aussi sur des rhums en double distillation, sans passage de colonne, pour obtenir des profils avec des TNA (taux de non alcool) et congénères (ensemble de composés chimiques étant à l’origine d’une partie des saveurs du rhum) plus importants, en se rapprochant sans doute d’un style jamaïcain. Donc l’alambic hybride nous permet véritablement de diversifier la palette des eaux-de-vie que l’on obtient.

Alambic HolsteinAlambic Holstein, 100 % cuivre et petite colonne de rectification à 4 plateaux © Manutea

Détail de la colonne de rectificationDétail de la colonne de rectification © Manutea

PDP. C’est en effet passionnant de voir à quel point l’on peut appuyer les différences de production à partir d’un même appareil.

Sans transition, on a vu dans votre gamme apparaître un rhum « bio » et l’on sait combien le cahier des charges est strict pour obtenir un tel label. Etait-ce un challenge pour vous ?

EH. Il s’agissait surtout d’un challenge administratif dans le sens où l’on a la chance de bénéficier d'un terroir très préservé. Notre canne n'a besoin d'aucun traitement chimique puisque l’on n’a ni peste, ni champignon : elle s’épanouit naturellement dans nos champs, dans nos parcelles. Le bio est donc assez naturel car nous n’avons aucune agriculture intensive. Toutes nos parcelles sont en extensif parce que l’on coupe à la main. Lorsque l’on veut limiter la pousse des mauvaises herbes, nos gars désherbent les allées en passant la tondeuse ou la débroussailleuse. On a surtout besoin d'avoir cette intervention mécanique sur les jeunes parcelles, lorsque les feuilles des cannes ne recouvrent pas 100 % du sol. Dans ce cas, on intervient sur les quatre-cinq premiers mois, mais une fois que les cannes ont pris et que leur feuillage est suffisamment dense, ce dernier crée de l’ombre sur l’ensemble du sol, ce qui ralentit très sensiblement la pousse des mauvaises herbes.

Parcelle de canne désherbée à la main, Kellum-Opunohu © Manutea / Moorea, plantation de « teen-cane » avec paillage biodégradable au sol © Manutea

EH. Donc le bio est assez naturel. On le fait sur l'île de Moorea parce que ce sont nos équipes qui mettent en œuvre les parcelles, qui les entretiennent, qui les récoltent, ce qui permet d’avoir un suivi très précis de ce qui est fait sur ces parcelles. Chez nos partenaires planteurs de l'île de Tahaa - avec qui l’on a commencé l'aventure en 2015 et avec qui l’on continue de travailler - les choses sont différentes. Ce sont vraiment de petits planteurs qui, outre la canne à sucre, peuvent également cultiver des agrumes, de la vanille, des tubercules… Ils ne savent pas forcément lire ou écrire, donc le cahier des charges et la tenue des registres qu’impose le bio est une lourdeur administrative trop importante pour eux. Mais la conduite des cultures est, en revanche, exactement comme celle que l'on fait sur Moorea, en dehors des parcelles que l’on a fait certifier. Cette même démarche a été réalisée dans notre activité de production de jus, ainsi nos parcelles d’ananas bénéficient-elles également du label bio. Dans le cadre de l’agriculture conventionnelle, la culture de l’ananas nécessite, pour le coup, de traiter les allées avec des herbicides. C’était donc très important pour nous de montrer qu’il était possible de cultiver de l’ananas bio en plaçant un paillage sur le sol et donc sans que cela représente des coûts beaucoup plus élevés qu’en culture conventionnelle.

Parcelle d’ananasParcelle d’ananas « Bio » et récolte d’ananas bio « Queen Tahiti » © Manutea

MDP. Que représentent vos plantations en termes de taille, de rendement ?

EH. Alors, si l’on parle de rendement à l’hectare, on est aujourd’hui autour de 40 tonnes / hectare. En revanche, historiquement, on était effectivement à Tahaa sur environ 10 hectares plantés et récoltés pour les rhums Manutea, superficie qui a doublé grâce au travail qui a été fait sur l'île de Moorea puisque l’on a aujourd'hui une dizaine d'hectares également plantés sur cette île avec une première grosse campagne qui débute cette année ! Contrairement à l'hémisphère nord, la récolte débute chez nous en juillet-août pour atteindre les plus gros mois de coupe et de presse en septembre-octobre. Les gars sont donc en ce moment dans les champs quotidiennement pour réaliser la coupe manuelle de nos cannes à sucre.

Parcelle en cours de plantation en bord de merParcelle en cours de plantation en bord de mer © Manutea

MDP. Justement Etienne, vous évoquez la coupe manuelle de la canne, quelles autres étapes soulignent le caractère artisanal de votre production ?

EH. Alors, juste après la coupe manuelle, les cannes sont ensuite emmenées au moulin avec un seul pressage, sans réduction d'eau, sans addition d’eau. On est donc sur un pur jus première presse avec une belle concentration aromatique, des degrés brix qui peuvent monter à 18-20 sur certaines parcelles. Donc effectivement, on n'a pas de gros rendements, mais ce n’est pas ce que l’on recherche. Notre envie est vraiment de conserver cette approche artisanale en proposant à la fois cette origine géographique polynésienne différente, mais aussi en ayant une approche organoleptique et sensorielle et une recherche d’arômes. Manutea aurait peu d'intérêt à avoir des rentabilités très proches de ce que l’on peut retrouver en Martinique ou en Guadeloupe, sachant que l'on a de toutes façons des coûts de production et d'exportation beaucoup plus élevés que ceux de nos confrères. L’identité de Manutea s’appuie sur la canne « O’Taiti » qui reste proche de la variété ancestrale de Nouvelle-Guinée, une approche extensive durant les étapes de coupe, de presse et de distillation en alambic : autant de marqueurs qui nous distinguent.

Récolte de la canne avant acheminement au moulinRécolte de la canne avant acheminement au moulin © Manutea

Broyage en une seule passe / Jus de première presse © Manutea

MDP. Avez-vous également des spécificités liées à l’étape de fermentation ?

EH. Alors, on travaille sur des fermentations un petit peu plus longues que ce qui est généralement réalisé aux Antilles, mais cela est lié au fait que l’on travaille sur de petites cuves qui nécessitent d’être reensemencées. La fermentation va durer de trois à quatre jours maximum dans des cuves à température ambiante même si l’on allume de temps en temps un ventilateur pour les refroidir et éviter que les températures montent trop et que cela déborde ! On mélange des levures indigènes et exogènes qui vont aider à transformer le sucre en alcool. Donc nous n’avons pas à proprement parler de process vraiment particulier sur cet aspect. En revanche, le fait que l'on travaille un vesou pur jus première presse nous permet d’obtenir une concentration sucre / arômes très intéressante car nos moûts peuvent titrer en moyenne 8 à 9 degrés, ce qui est plus élevé que les 4 à 5 degrés que l’on a l'habitude d'avoir aux Antilles.

MDP. Aujourd’hui, combien de personnes travaillent chez Manutea ?

EH. Alors nous avons une équipe de 17 personnes à temps plein, en revanche lorsque l’on coupe dans les champs, un peu comme les vendanges, on a besoin de ressources agricoles supplémentaires. Ce qui représente une douzaine de contrats saisonniers. La récolte se fait ensuite parcelle par parcelle, car l’on n'a pas la capacité de tout couper en même temps, tout simplement car l’on n’a pas la capacité de tout peser, de tout presser en même temps ! Il est très important pour nous, lorsque la canne est coupée, qu'elle soit pressée dans les 24 heures, mais idéalement on la presse dans la journée. On ne stocke pas la canne.

L'équipe de ManuteaUne partie de l'équipe « Manutea » © Manutea

PDP. Alors on en arrive naturellement à l’étape de vieillissement car la gamme Manueta, qui est d’ailleurs très complète, se compose de rhums vieux VO, VSOP et notamment un ex-fûts de Banyuls - vin doux de Provence. Qu’est-ce qui a motivé ces choix ?

EH. C’est vrai que dès la première campagne, on a fait le choix chez Manutea de consacrer un volume non négligeable aux rhums vieux. Aujourd’hui, sur l'ensemble d'une campagne, 50 % des jus sont destinés au vieillissement. Encore une fois notre approche premium du marché et le fait que notre culture « Rhum » soit beaucoup moins forte que celle des Antilles - le « Ti’Punch » et donc le rhum blanc n'est pas aussi implanté que chez nos confrères martiniquais ou guadeloupéens - ce choix était un vrai parti-pris. Le premier batch de VO est sorti fin 2018, le premier VSOP fin 2019 et donc, petit à petit, on a des volumes qui augmentent sur ces déclinaisons de vieux.

Rhum Manutea V.O. et V.S.O.PRhum Manutea V.O. et V.S.O.P © Manutea

EH. Sur la constitution du chai, on va retrouver un profil classique ex-fûts de Bourbon bien connu des amateurs de spiritueux et puis l'on est aussi allé chercher ce fût de Banyuls pour trois raisons : la première était liée au fait que l’on souhaitait un rhum au profil gourmand avec des notes de fruits confits sans pour autant édulcorer ou aromatiser le contenu. La seconde était que l'on souhaitait continuer de se distinguer et le choix de ce petit village de Banyuls-sur-Mer dont la production reste modeste à l’échelle nationale, apportait un caractère rare et exclusif. Et puis la troisième raison était un clin d’œil de notre Maître de chai, Aude, qui a fait ses études à Perpignan.

On retrouve donc sur le VO et le VSOP des rhums - dans une proportion de 50 / 50 - vieillis d’une part en fûts de Bourbon et d’autre part en fûts de Banyuls, qui seront assemblés avant la mise en bouteille. Ce style nous a tellement plu - ainsi qu’à la communauté nous entourant - qu'on a décidé de proposer une déclinaison « 100 % Banyuls » avec un VO Single Cask que l’on retrouve aujourd’hui sur le marché métropolitain.

Chai de vieillissement des rhums ManuteaChai de vieillissement des rhums Manutea © Manutea

MDP. En parlant du marché métropolitain, y-a-t-il une consommation locale ou Manutea est-elle principalement une marque dédiée à l’export ?

EH. Alors aujourd'hui Manutea c'est 30 000 bouteilles vendues dont 27 000 sur le marché polynésien et 3 000 sur le marché métropolitain. Ce dernier marché a véritablement été ouvert en 2018 et est uniquement approvisionné par les bouteilles qui n’ont pas été vendues localement. Bon, 27 000 bouteilles représentent une goutte d'eau par rapport à tout ce qui peut être produit en Martinique ou en Guadeloupe.

MDP. Oui mais quelle belle « goutte d’eau » !

EH. (Rires) Le fait est que l’on arrive avec des rhums qui sont un peu moins chers que les rhums importés, pour la simple et bonne raison que l'alcool est très taxé en Polynésie, ce qui nous a permis de prendre quelques places de marché sur l’agricole. Toutes celles et ceux qui faisaient un Ti’Punch avec un rhum martiniquais se sont mis au rhum polynésien ! Nous avons aussi des volumes qui se font par le biais de notre boutique dont le flux de visiteurs est non négligeable : 80 000 visiteurs par an. Enfin, nous travaillons également très bien avec nos partenaires de la restauration (hôtels, restaurants, bars…) qui valorisent la production locale.

Ti'Punch au Rhum Manutea 50° © Manutea

PDP. Nous ne nous attendions pas du tout à cela, c’est étonnant effectivement.

EH. Alors bien sûr, le marché métropolitain va croître, on a des progressions à deux chiffres chaque année, mais il était pour le moment contraint par notre capacité à produire. Donc la belle campagne prévue cette année et dans les années à venir va nous permettre de monter à 20, 30, 40 hectares à moyen terme, ce qui nous permettra d'accompagner la demande du marché métropolitain. On ne se sent qu’au tout début de cette aventure que l’on espère belle et l’on fera d’ailleurs tout pour qu’elle le soit ! Pour aller dans ce sens, nous travaillons actuellement sur une indication géographique contrôlée afin de pouvoir structurer, pérenniser, cette filière « Canne-Rhum » en Polynésie française et également pour la faire connaître aux professionnels comme aux consommateurs de manière transparente.

MDP. C’est une très belle projection dans l’avenir ! Justement, avez-vous de nouvelles cuvées en préparation ou vous concentrez-vous surtout sur cette augmentation de production afin de stabiliser et de développer vos volumes ?

EH. Alors oui, l'ADN de de la marque Manutea est vraiment de pouvoir constamment explorer et découvrir ce métier passionnant, puisqu’il est vrai que l'on apprend tous les jours. Fin décembre, nous lancerons notre premier batch XO sur le marché polynésien et l’on devrait être en mesure d’ici 1 an de présenter cette déclinaison XO avec des bouteilles destinées au marché métropolitain ! On va également proposer un VSOP finish Beaumes-de- Venise qui va sortir au mois d'octobre et également un finish vin jaune qui est en cours de vieillissement. Nous allons également recevoir d’ici quelques semaines des fûts neufs. Toute cette diversité va venir enrichir le chai et nous permettre d’explorer toujours plus, en nous appuyant sur des échanges avec des confrères comme avec des tonneliers…

MDP. Vos choix de finish sont très originaux, il ne nous semble pas avoir déjà vu de telles finitions. Nous avons évoqué Aude, votre Maître de chai, pourriez-vous nous raconter son parcours en quelques mots ?

EH. Bien sûr, Aude est ma femme donc je la connais bien (rires). Elle a fait ses études à Perpignan, un BTS génie des aliments suivi d’un Master sécurité alimentaire et a démarré chez nous en 2011, en tant que Responsable Qualité. Petit à petit, elle a pris en charge la production et Jérôme - que l'on a embauché en 2017 ou 2018 - a repris le volet qualité pour qu’Aude puisse prendre à bras le corps toute la partie production et avoir la responsabilité du chai par la même occasion. Elle a bénéficié cette année d'une formation au CIDS à Cognac sur la partie gestion des stocks du chai. C’est pour cela que j’insiste toujours sur le fait que nous n'avons pas forcément des formations en œnologie ou en tenue de chai mais nous apprenons à la fois sur le terrain et lors de nos échanges, notamment lors des salons car notre éloignement géographique nous isole parfois un peu.

Aude, Maître de Chai de la distillerie ManuteaAude Houot, Maître de Chai de la distillerie Manutea © Manutea

MDP. Une présence féminine au sein des chais de vieillissement est rare et toujours notable dans ce monde si masculin. J’imagine qu’au-delà de leurs compétences et des différences de personnalité de chacun, cela apporte aussi des sensibilités et des approches différentes, enrichissantes pour les créations ?

EH. Parfaitement. On est 7 dans l’équipe de dégustation où l’on va notamment retrouver Aude Houot (Maître de Chai) et Heidi Papai (responsable du laboratoire et de la Recherche et Dévloeppement), deux palais féminins. Il est très important d'avoir leurs retours car l’on a des approches produit à la fois très différentes et très complémentaires. Cela est donc important et pertinent de le souligner.

MDP. Nous voilà arrivés à la fin de l’échange que nous avons été ravis d’avoir avec vous, Étienne.

EH. Dans ce cas je finirai par cette légende polynésienne qui raconte que le dieu de la mer et le dieu du vent ont fait se rencontrer une vague et l’alizé pour former l'être vivant « Manutea », cet oiseau, guide protecteur des navigateurs au long cours qui sont ensuite devenus des agronomes experts...

MDP. C’est une très belle symbolique qui rappelle l’authenticité du terroir que vous magnifiez en élaborant les rhums Manutea.

PDP. Je ne peux que vous féliciter ! Votre aventure est tout ce que l’on aime dans le rhum : des histoires chargées de sens, des parcours humains courageux et des terroirs authentiques qui créent une émulation tellement riche.

EH. Et bien bravo à vous car nous avons besoin de partenaires comme La Compagnie du Rhum pour mettre en avant le travail de toutes les distilleries. En plus je dois vous dire que je suis client de votre site et j’ai d’ailleurs sur le PC de mon bureau un de vos stickers Rum Lovers Unite ! (rires)

MDP. Merci Etienne ! Nous sommes fiers de représenter les rhums Manutea et avons hâte d’accueillir vos nouvelles belles cuvées à La Compagnie du Rhum.

EH. Nous avons hâte quant à nous de vous accueillir en Polynésie !

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.