Rencontre avec un collectionneur de renom : Luca Gargano

  JUILLET 2015

Rencontre avec Luca Gargano

Collectionneur de rhum

Vélier


Martinique

Cet été, Luca Gargano nous a fait la surprise de venir nous rencontrer à la Martinique, dans notre Showroom. Nous avons accueilli avec bonheur cet homme simple aux mille vies, acteur majeur dans le rhum, qui ne possède ni permis de conduire, ni téléphone portable ni télévision ! Lorsque nous échangeons nos premiers mots avec lui, nous nous en rendons bien compte, Luca n'est pas un homme comme les autres, cette rencontre restera très spéciale pour nous.

Auteur de l'ouvrage référent 'l'Atlas du Rhum' aux éditions Flammarion, découvrez cet homme qui est, entre autre, à l'origine des célèbres RhumRhum produits à Marie-Galante...
 

Photo de Luca Gargano et Philippe de Pompignan

Philippe de Pompignan : Salut Luca, peut-on se tutoyer ?

Luca Gargano : Bien sûr !

PAP : Alors Luca, qu’est-ce qui t’amène à la Martinique en ce moment ?

LG : Et bien cette fois, je suis venu pour le 250ème anniversaire de Saint-James (un événement célébré à Sainte-Marie, le 9 juillet dernier, que nous avions relaté dans cet article.)

PAP : Et dis-moi, Luca, comment as-tu connu notre site, La Compagnie du Rhum ?

LG : Je suis collectionneur de rhum. Lorsque votre site est né, je suis allé le visiter en cherchant des bouteilles spéciales. Vous étiez en effet le premier site spécialisé. En tant qu’amateur de cet alcool, il était normal de vous trouver !

 

PAP : Peux-tu nous parler de ta collection de rhum, Luca ? Tu comptes parmi les grands collectionneurs de la place, si ce n’est LE plus grand…

LG : Depuis longtemps, je cherche des produits spéciaux, des fûts spéciaux, mais à l’époque, je ne cherchais pas à les collectionner ! C’est dommage car aujourd’hui j’ai parfois une ou deux bouteilles, parfois aucune, sur des produits que j’ai moi-même sélectionnés et vendus…

Depuis 8 ans, j’ai goûté à la ‘drogue’ du collectionneur – cela est vraiment une drogue dans mon cas – et je suis devenu fou. J’ai alors commencé à collectionner, comme si je voulais rattraper le temps perdu. Depuis 8 ans j’ai effectivement entamé une très belle collection.

photo de Luca Gargano qui visite la compagnie du Rhum

 

PAP : Combien de bouteilles comptes-tu actuellement dans ta collection ?

LG : Tu sais combien il est difficile de déterminer exactement ce qu’est un produit de collection. Pour ma part, je considère qu’il s’agit de rhums qui n’existent plus, de bouteilles dont les étiquettes ont changé, de rhums exceptionnels comme le Saint-James 1885… Selon ces critères, j’ai aujourd’hui à peu près 2 400 à 2 500 références différentes pour un total de 20 000 bouteilles.

PAP : (silence admiratif)

 

PAP : Peux-tu nous parler un peu de ton parcours dans le rhum ? Comment as-tu démarré ? Quelles évolutions as-tu pu constater dans le temps ?

LG : Tout a commencé ici en 1975 – à la Martinique – j’avais alors 18 ans. Epoque incroyable où j’agissais en qualité de responsable commercial de la marque Saint-James. Je parle d’une époque où il n’y avait pas d’ordinateur, une époque où très peu de jeunes étaient présents à de tels postes. J’avais 18 ans, des cheveux longs, et la volonté d’organiser un concours de vente pour motiver mes agents italiens. C’était une pure folie à l’époque : organiser un voyage à la Martinique alors que 99% des Italiens ne connaissaient même pas l’existence de cette île !

PAP : Un voyage inaccessible Luca…

LG : Totalement. A l’époque les déplacements courants dans notre secteur étaient d’aller à Cognac, en Champagne… C’était également l’époque des premiers voyages en Angleterre par avion (avant nous les faisions en voiture…). Alors imagine-toi ce jeune aux cheveux longs qui propose un concours Saint-James pour remporter un voyage à la Martinique : une pure folie !

Et bien grâce à cela, j’ai doublé le chiffre d’affaires des bouteilles de Saint-James vendues en une année. Je suis passé de 13 759 - je m’en souviens encore par cœur – à 24 080 bouteilles ! L’année suivante, 30 000 bouteilles, puis 70 000, signant un véritable record de ventes pour Saint-James en Italie.

A l’époque je n’avais pas la télé. En arrivant à la Martinique, installé à l’Hôtel du Bakoua – je suis sorti aller acheter des fruits et une femme a commencé à danser avec moi en chantant ‘Un tibo, deux tibos, trois tibos doudou…’ Quelques instants plus tard, la vue des jambes interminables d’une très belle femme, le chant typique des petites grenouilles retentissant à la nuit tombée… je ne pouvais que rester. Je suis resté. Le rhum était désormais dans mon cœur.

 

PAP : Justement Luca, toi qui connais si bien le rhum, comment vois-tu l’évolution de ce spiritueux, de ce marché dans quelques années ? En Europe, en Italie, en France ? Quels sont d’après toi les changements majeurs que nous pourrons constater ?

LG : Je trouve que le rhum a une chance énorme. Il s’agit d’une eau de vie dont les caractéristiques sont très fortes. Distiller du pur jus de canne - en terme de richesse aromatique - c’est beaucoup plus que distiller des céréales. En cela, je vois dans cet alcool un grand potentiel.

En revanche, il y a d’après moi une confusion notable dans ce secteur. En effet, à part le rhum agricole, tous les rhums font aujourd’hui partie de la même catégorie.

PAP : C’est un peu flou en effet…

LG : Oui et cela est un problème car si l’on pense au monde des Whiskies, c’est comme si Ballantines, une marque de distributeur, et Macallan étaient placés dans la même catégorie. Cela pose forcément des problèmes car il faut distinguer les produits industriels et les produits artisanaux de très grande qualité. Le vieillissement en milieu tropical permet à un rhum de 6 ans d’offrir un développement bien plus riche et important que s’il avait connu un vieillissement dans un environnement continental, et tous ces produits se confondent en définitive un peu les uns avec les autres. Je pense qu’il serait important de revoir une classification qui correspond mieux à l’offre du marché actuel.

 

PAP : En ce qui te concerne, Luca, quels sont tes projets à court terme pour le rhum ?

LG : Avant tout, je suis dernièrement tombé amoureux d’Haïti. Je trouve que c’est un pays exceptionnel. On y ressent fortement l’héritage occidental vieux de deux cents années tout en décelant une vision futuriste, avant-gardiste, qui a permis de conserver une vraie agriculture bio, sans produits chimiques.

Il y a encore 532 distilleries en activité à Haïti. Bien sûr ces dernières seraient considérées comme ‘Moonshine’ (*) si elles devaient subir un contrôle de douane : ils y mettraient une bombe atomique (rires).

(*)‘Moonshine’ était le terme utilisé pour décrire les contrebandiers durant la prohibition : au vu de la réglementation stricte qui entoure la fabrication d’un spiritueux tel que le rhum, ces distilleries artisanales seraient considérées comme des distilleries de contrebande.

Pourtant la biodiversité et la richesse des rhums produits à Haïti sont extraordinaires. Je ne comprends même pas pourquoi le Clairin n’a pas suscité davantage d’intérêt avant que je sois ce pionnier. Sans doute était-ce parce qu’Haïti était considéré comme un territoire dangereux ? Toujours est-il que personne n’est du coup allé explorer ce terroir exceptionnel. Je suis donc en train de développer ce produit en le transformant en ‘prince’ du rhum.

J’ai également d’autres projets sur le Pure Single Pot Still Rum car d’après moi, le plus important aujourd’hui est d’aller chercher les derniers maîtres distillateurs artisanaux sachant distiller ce spiritueux dans le pur respect des traditions.

 

PAP : Luca, j’en arrive à ma dernière question. Quel est ton meilleur souvenir de dégustation de rhum ?

LG : [Soupir…]

Ce n’est pas facile de répondre à cette question. En 1991, j’ai goûté le Saint-James 1885. Cette époque était vraiment incroyable, imprimée en moi comme un tatouage. Lorsque l’on sait à quel point la dégustation d’un rhum est également une expérience sentimentale, une connexion avec l’esprit…

J’ai d’autres souvenirs exceptionnels comme la découverte d’un fût de Skeldon 1978 dans les caves de Demerara Distillers Limited. Skeldon était la marque la plus rare de cette distillerie. Quand j’ai découvert cet incroyable fût, j’ai immédiatement souhaité déguster ce rhum !

Un autre souvenir exceptionnel était ma première goutte de Damoiseau 1980. J’avais décidé à l’époque de le laisser brut de fût. Je pense d’ailleurs que c’était un des premiers brut de fût de l’histoire du Rhum.

Enfin, la première fois que j’ai dégusté un Clairin (rhum blanc d’Haiti) cela a déclenché en moi une merveilleuse émotion.

 

PAP : Luca, un grand merci. Nous avons été très heureux et très honorés de te recevoir, tu es un acteur tellement précurseur dans ce milieu. Nous te remercions également, par cet échange, de nous aider, avec émotion, à renouer avec ces rhums ‘oubliés’. Ta visite nous a fait chaud au cœur, j’espère que tu repasseras bientôt nous voir ici à la Martinique.

LG : Merci Philippe et bonne chance. Vous aussi êtes des précurseurs en ayant créé le premier site dédié au rhum. Votre Showroom, situé dans cet endroit magique, magnifique, à quelques mètres d’une distillerie très connue ici à la Martinique, est exceptionnel. Encore bonne chance !

 

Retrouvez l'entretien exclusif de Luca Gargano et Philippe de Pompignan sur Youtube

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