#07 ... Franck Dormoy, Rhum La Favorite

[ 16.05.2022 ]

Philippe et Marika de Pompignan. Salut Franck, merci d’avoir répondu à notre invitation, nous avons mis du temps à caler nos emplois du temps mais nous y voilà enfin ! Nous souhaitions commencer par parler un petit peu de votre famille, car vous êtes une famille de distillateurs depuis plusieurs générations…

Franck Dormoy. La quatrième exactement !

PDP. C’est le clan Dormoy qui est au départ de cette belle épopée de La Favorite. Nous avons d’ailleurs bien connu Paul, ton père. Est-il toujours actif ?

FD. Oui, c’est toujours lui le patron ! Et en plus, comme ça évolue dans le bon sens, cela lui donne de l’énergie pour continuer !

Paul et Franck Dormoy, Père & Fils © La Favorite

PDP. En premier lieu, nous nous demandions comment s’était faite ton intégration lorsque tu es arrivé dans la distillerie. On imagine bien que tu as dû côtoyer cette belle dame, même petit. Peux-tu nous raconter comment s’est passée ta prise de fonction à La Favorite ?

FD. Alors, moi je suis arrivé en 2006. Avant cela, j’ai travaillé dans la banane pendant cinq ans, dans une exploitation bananière de Saint-Pierre pour la famille des Grottes. En 2005, mon père m’a contacté et m’a demandé si cela me dirait de travailler à la distillerie car ils avaient besoin de quelqu’un pour s’occuper de la partie agricole. Comme j’avais fait des études en agronomie, c’était vraiment mon secteur d’activité. J’ai donc commencé en janvier 2006 en remettant un peu en état l’exploitation agricole qui n’était pas optimisée au mieux de son potentiel. C’est par cela que j’ai commencé.

Et puis, dans l’année même qui suivait,  j’ai vu qu’au niveau production, il y avait des choses qui n’allaient pas, c’était compliqué, Gabriel, notre responsable de production, était débordé… bref, je me suis donc intéressé à la partie production en parallèle de la partie agricole, en me formant sur le tas, c’est-à-dire que les anciens qui travaillaient là m’ont accompagné, et puis j’ai suivi une formation avec Jacky Pascault qui est un peu une Bible pour la partie fabrication de rhum ! Fermentation, broyage, distillation, cela m’a vraiment beaucoup apporté et j’ai continué pendant des années à me former. En parallèle de la partie agricole, j’ai aussi mis la main à la pâte côté distillerie. Je n’étais pas un simple observateur, je bossais à souder, à faire de la mécanique, à démonter, à remonter… j’ai vraiment commencé comme ça. Je me suis fait intégrer de cette manière par les employés parce qu’ils ont vu que je n’étais pas là comme un patron à leur dire ce qu’il fallait faire, mais que je faisais également moi-même les choses.

Je pense que cela a permis une intégration plus facile. Il y en a qui m’ont vu naître et qui sont encore là, je les connais tous. Mais il a fallu quand même passer - à un certain moment - du stade de petit garçon qu’ils ont vu naître au responsable qui leur disait ce qu’ils devaient faire. Je pense y être arrivé ! Je crois avoir un caractère assez trempé et, quand il y avait de petites embrouilles, je ne me suis pas laissé faire, j’ai réussi à contourner, à gérer, on a su créer au fil des années une bonne entente.

Je suis tous les jours dans la distillerie. Quand on est en production, je n’arrive pas à rester dans le bureau. Et je continue jusqu’aujourd’hui à mettre mes mains dans le cambouis !

PDP. On comprend que tu as touché à tout dans la distillerie, que tu as beaucoup appris…

FD. Après, comme tu le sais, il y a toujours des choses à apprendre…

PDP. La distillerie La Favorite, c’est une grande dame…

FD. Oh oui ! D’ailleurs, je ne sais pas si vous le savez, mais nous fêterons ses 180 ans cette année ! C’est l’année de notre 180ème récolte, on vous tiendra au courant au fur et à mesure, mais voilà une belle année en perspective !

Distillerie La Favorite dans les années 30 © La Favorite

Distillerie La Favorite dans les années 70 © La Favorite

MDP. Quel âge magnifique, c’est formidable de voir l’histoire de ce lieu perdurer ainsi !

PDP. C’est cela aussi qui signe un grand rhum. L’expérience, les années… les générations qui se passent le flambeau.

FD. Et c’est vrai qu’on est l’une des dernières distilleries encore familiales, comme vous le savez. Nous avons eu la chance d’avoir hérité cela de père en fils, et c’était non seulement les installations, les équipes fidèles, depuis plus de 30 ans pour la plupart, mais aussi les rhums. Par exemple, La Flibuste que l’on vend aujourd’hui, c’est mon grand-père - André Dormoy - qui l’a mise en fûts. Cela aurait été plus difficile sans tout cela.

Portrait d'André Dormoy dans les années 30 © La Favorite

MDP. Franck, nous avions envie que nos lecteurs puissent comprendre à quoi ressemble l’une de tes journées. Peux-tu nous raconter ?

FD. Et bien d’abord, il y a deux périodes dans l’année pour moi : la période de production, c’est-à-dire maintenant, et la période où l’on ne produit pas, mais où l’on plante la canne, où l’on entretient la canne etc… Donc les journées ne sont pas les mêmes d’une période à l’autre.

En période de production, quand j’arrive à La Favorite, il est 7h environ, je vais d’abord à la distillerie et, première chose, je dis bonjour à tout le monde. Je pense que c’est très important de travailler en bonne convivialité. Je vais à chaque poste, je parle à chaque employé, je lui demande si ça va, je fais un petit check-in… Ensuite, j’organise un peu la journée.

Mais il y a des choses que l’on ne peut pas changer. Par exemple, en période de production, il faut qu’il y en ait un qui mette la canne dans la distillerie, un qui soit au moulin, il y a plusieurs postes, et ces actions font partie du quotidien. Mais d’autres actions peuvent également venir se rajouter.

Par exemple, en ce moment, on est également en train de faire des mises en vieillissement. J’essaie de débloquer une ou deux personnes de la distillerie pour venir les faire avec moi. Donc voilà ce que l’on fait depuis deux semaines, par exemple. Je suis avec deux employés qui m’aident à placer des fûts et à les remplir. En ce moment, c’est mon organisation de journée. Et puis ensuite j’ai des rendez-vous. J’essaie généralement de les placer vers 10h30 le matin, une fois que la journée est organisée.

Chai de vieillissement © La Favorite

PDP. Est-ce que tu peux me parler un peu de ce qu’apporte au produit final le fait d’être une petite unité familiale, par rapport à certaines très grandes unités de la Martinique ?

FD. Je pense que notre caractéristique principale est que l’on ait une petite production. C’est vrai que, quand on la compare à d’autres, on fait dix fois moins qu’eux dans le même laps de temps. Donc quand on fait moins de production dans la même période, on peut « chouchouter » nos fermentations, c’est-à-dire qu’on va faire des fermentations plus longues, par exemple, ce qui change complètement le produit au final. Quand on fait une fermentation de 72 heures au lieu de 24h, on a un rhum avec énormément de goût. Les TNA (Total Non Alcool) et les alcools supérieurs vont bien se lier avec les molécules d’alcool etc ..., donc les fermentations longues sont très importantes. Après, il faut pouvoir les contrôler parce qu’une fermentation longue peut également entraîner l’inoculation de mauvaises bactéries qui pourraient créer des fermentations malolactiques etc... C’est assez pointu mais cela permet d’obtenir des rhums d’une belle qualité.

Il y a aussi le fait que chez nous, la canne est entièrement coupée à la main. Certes, le coût est deux fois plus élevé, mais nous avons fait le choix de nous focaliser sur ses nombreux aspects positifs.

La canne est bien mieux sélectionnée par la main de l’homme car il ne prendra pas les mauvaises herbes, les lianes… tout ce qui pousse autour d’elle et que l’on appelle le « non-canne ». Ce procédé artisanal change beaucoup le produit final.

Il faut savoir aussi que la canne coupée à la main se conserve beaucoup plus longtemps. Si par exemple on a une panne en distillerie et qu’on a une ou deux journées de réparation, la canne coupée à la main ne va pas se détériorer, tandis que, coupée à la machine, elle se détériore dans la journée. Il faut vraiment la passer très vite dans le moulin. Du fait que l’on ait cette petite production, on peut se permettre de conserver ces techniques. C’est vrai que si par la suite on devait produire dix fois plus, on serait obligés de changer de méthode.

Chargement de la canne © La Favorite

PDP. Ne changez rien !

FD. Moi je ne veux pas changer, car c’est ce qui fait notre différence. Tu sais, nos coûts de production sont supérieurs à ceux des autres distilleries. C’est normal car on produit, avec le même matériel et le même nombre d’employés, dix fois moins qu’elles ! Cela veut dire que le litre de rhum nous coûte forcément plus cher.

Pour se démarquer de cela, on est obligés d’avoir des différences et de les mettre en avant.

La coupe à la main, c’est une différence. La fermentation longue, c’est une grosse différence aussi. La distillation qui se fait manuellement aussi, c’est une différence, c’est aller prendre le meilleur de ce que va donner la distillation, c’est très important.

Distillat « Brut » © Jean-Albert Coopmann

FD. Après, on fonctionne encore à la vapeur, donc ce n’est quand même pas mal. Même si on s’est un peu amélioré pour le broyage ces deux dernières années, on a encore la machine à vapeur qui fonctionne. Ce qui nous permet de nous servir de nos déchets comme combustible. Quant au peu d’électricité que l’on consomme aujourd’hui, on est en train de tout mettre en place pour compenser cette consommation électrique en mettant des panneaux solaires et un alternateur couplé à la machine à vapeur pour diminuer la consommation électrique que l’on a aujourd’hui sur les moulins, donc on est finalement assez écologiques.

Machine à vapeur en fonctionnement © Jean-Albert Coopmann

MDP. Cependant, là, vous amorcez un virage où vous prenez en compte l’environnement dans tous les maillons de la chaîne.

FD. Exactement. Et puis après, pour tout ce qui est partie agricole, il faut savoir que l’on arrache les herbes à la main maintenant car on n’a plus de désherbant. On ne met pas d’insecticide, pas de fongicide, on a donc une canne qui, même si elle n’est pas bio, est issue d’un mode de culture très raisonnée, très propre.

Enfin je suis en train de me pencher aussi sur la production de cannes bio ! C’est quelque chose qui va arriver l’année prochaine ou celle d’après. On est en train de commencer à planter des parcelles bio, cela prend du temps parce qu’il faut demander la certification, monter les dossiers, mais voilà, on s’y attèle.

MDP. C’est une très belle perspective pour renforcer votre démarche actuelle.

FD. Il faut savoir que c’est un label de qualité. Comme je vous le disais, pour le moment on fait de la canne qui n’a pas ce label, mais qui est déjà très propre. Quand elle aura le label bio, cela permettra de toucher également les gens qui sont sensibles à ce label-là. Mais aujourd’hui, nous faisons déjà les choses très très bien !

PDP. Franck, je reviens un petit peu sur la partie agricole qui est vraiment ta spécialité, puisque tu es ingénieur agronome. Peux-tu nous parler de ce qui fait le terroir de La Favorite ?

FD. Dans tous les livres anciens qui parlent de la canne à sucre dans les années 1800-1900 en Martinique, on dit que les terres du centre de l’île sont des terres à canne, vraiment très adaptées à cette culture. On a des sols, dans le centre de l’île et à La Favorite, qui sont argilo-humifères, ce qui signifie qu’ils sont très bien structurés. Ce sont les molécules de sol qui vont retenir les éléments minéraux nutritifs pour les plants. Quand on a de l’argile et de l’humus, ce complexe-là est bien fait pour retenir les éléments minéraux. Donc on a des sols qui sont généralement assez riches et ça, c’est vraiment une qualité. Par contre, le petit bémol, c’est que ce sont des sols assez gras et donc quand il pleut, ça glisse et ce n’est pas facile à travailler. Ce n’est pas comme un sol de Saint-Pierre qui, lui, sera très meuble, très facilement travaillable, les outils vont rentrer dans le sol comme dans du beurre, mais il est plutôt pauvre. Et puis en dehors de cet aspect sol, il y a aussi l’aspect topographie. J’ai des parcelles qui sont plutôt plates, en bord de rivière, sur des collines. Et ça aussi, ça va changer. Une parcelle qui est plate va plutôt retenir l’eau tandis que sur une parcelle pentue, l’eau va ruisseler. De ce fait, on n’obtiendra pas exactement les mêmes profils.

Et puis il y a aussi le microclimat. Si l’on a beaucoup de pluie dans cette région de la Martinique, l’hygrométrie va jouer sur la pousse de la canne. Les parcelles centrales de l'île sont connues pour être faites pour la culture de la canne car on a la quantité de pluie qu’il faut et on a aussi les sols qu’il faut etc… C’est précisément cette richesse, ces différences que nous souhaitons faire découvrir au travers de nos rhums parcellaires par exemple.

PDP. Toutes les cannes sont à vous ou vous prenez des cannes ailleurs ?

FD. On a une exploitation qui fait 60 hectares en propriété et ça nous suffit pour les trois-quarts de nos besoins en canne. On achète aussi de la canne à des petits planteurs, c’est-à-dire des agriculteurs qui ont 3-4 hectares maximum et qui coupent la canne à la main. Alors bien souvent c’est moi qui fait la prestation de coupe chez eux, j’envoie mes coupeurs, donc on a le même process de coupe, et souvent nos partenaires planteurs sont dans le centre de l’île, Ducos, Rivière Salée, Saint-Esprit, Gros Morne, Lamentin, c’est vraiment le même secteur que le nôtre.

PDP. Donc on reste vraiment sur le terroir « central ». On n’est ni dans le Nord avec les sols volcaniques de la Montagne Pelée, ni dans le sud aride et sec.

FD. En revanche depuis deux ans, on prend un peu de canne du Carbet. Cela représente à peu près 60 tonnes, soit une demi-journée de la récolte, pour vous donner un ordre d’idée.Mais c’est la seule exploitation excentrée. Et je sépare ce rhum-là pour en faire une autre cuvée et obtenir deux typicités vraiment différentes.

PDP. C’est vraiment dans l’air du temps. Quand on a démarré il y a quinze ans, on ne parlait pas du tout de terroir, de parcelle, de climat. On avait du jus de canne et on faisait du rhum. Aujourd’hui les gens souhaitent de la traçabilité, ils veulent comprendre et avoir une vision d’ensemble. Cette fois on y est, on a cette traçabilité, ce prestigieux label AOC, on voit que les choses ont beaucoup bougé depuis une dizaine d’années.

FD. On est obligé d’y venir parce que, depuis quelques années, un nouveau type de consommateur est né. Avant, l’offre était plus classique et moins étoffée, on prenait un rhum blanc, un rhum vieux, un punch… Aujourd’hui on a vraiment des amateurs de rhum qui sont des connaisseurs et ces gens-là, il faut leur apporter de la connaissance car ils en sont demandeurs. Ils aiment découvrir, ils aiment savoir et comprendre quelle différence, même minime, il y aura entre chaque cuvée…


Récolte 2020 : La Digue, Rivière Bel'air, Brut 2 Colonnes © La Favorite

PDP. Nous sommes en effet face à des consommateurs de plus en plus éclairés. Et puis avec toute la réglementation - dont la loi Evin - on a bien compris que le volume consommé était une chose, et la qualité une autre. Les amateurs boivent moins mais ils boivent « mieux ». Et c’est vous qui êtes au départ de cette démarche et qui allez pouvoir proposer ces produits très premium, je dirai que l’offre suit la demande.

D’ailleurs, nous allons parler un peu de vos rhums vieux ! On connaît la fameuse cuvée La Flibuste, iconique, mais vous avez aussi considérablement développé par ailleurs d’autres sélections.

FD. Oui, on a toute une gamme qui s’est beaucoup développée.

PDP. Est-ce que c’est une stratégie à long terme pour vous sur les vieux ? Comment avez-vous pris ce tournant ?

FD. Alors il faut savoir déjà qu’avec La Flibuste, on est très limité. C’est une cuvée qui tourne autour de 5000 bouteilles par an en moyenne. D’autre part c’est un rhum très très vieux, et les rhums très très vieux comme cela, on ne les fait pas rapidement.

La Flibuste Vintage non millésimé / Millésime 1995 © La Compagnie du Rhum  

La Flibuste Millésime 1997 / Millésime 1999 © La Compagnie du Rhum

FD. 
Il faut qu’on ait une gamme de produits qui partent depuis une base pour arriver jusqu’à un sommet. Mais sur ce chemin-là, pour arriver jusqu’au sommet, il faudra créer plusieurs paliers.

On a défini ce palier-là, chez nous en tous cas, sur le deux ans, un rhum élevé sous-bois.

Ensuite le 4 ans, qui a été chez nous le premier rhum vieux à s’appeler ainsi, car il faut savoir qu’un minimum de 3 ans est nécessaire pour prétendre à cette dénomination. En partant sur un vieux âgé de 4 années, on met déjà de la qualité sur un incontournable.

Nouvelle gamme « 2 ans », « 4 ans », « 50° » et « 55° » © La Compagnie du Rhum

La Favorite « 2 ans » et « 4 ans » © La Compagnie du Rhum

FD. Puis on va faire le suivant. Et le suivant c’est le 2015 cette année, une Sélection de Fûts 6 ans d’âge, puis le 8-9 ans, un millésime Brut de Fûts. En l’occurrence en ce moment, c’est le millésime 2013 que l’on vient de sortir il y a quelques semaines. Donc on crée des cuvées qui offrent chacune un profil singulier, un voyage dans notre Chai.

La Favorite Millésime 2011 « 8 ans » © Jean-Albert Coopmann

FD. On va également développer un 12-14 ans, sur lequel on travaille, ainsi que des produits moins vieux comme les élevés sous-bois qui ne sont vraiment pas mal. Au dernier Rhum Fest, j’ai fait goûter ce que j’ai appelé « L’exploration n°3 » qui sortira prochainement et qui en fait est un rhum élevé sous-bois différent de notre 2 ans Cœur de Canne. Avec des fûts particuliers, des procédés singuliers, on va pouvoir obtenir des arômes exceptionnels.

Tous ces nouveaux rhums ont pour but de contenter le public qui souhaite découvrir des sélections différentes et uniques, à travers nos différents savoir-faire.

PDP. Oui et l’on voit actuellement que ce n’est plus seulement le compte d’âge qui est mis en avant car on peut faire des rhums jeunes qui sont excellents.

FD. Tu as parfaitement raison, l’âge ne fait pas forcément la qualité du produit. J’apprécie les rhums jeunes parce qu’ils n’ont pas trop de tanins. Quand il y en a trop, on a souvent une amertume que je trouve désagréable. Certes, il y a de la complexité mais un peu trop d’amertume à mon goût. Quand on va sur des rhums élevés sous-bois, par exemple, on perd cette amertume et on obtient un profil de bois - en l’occurrence pour le Cœur de Canne 2 ans et L’exploration n°3 - plus jeune avec un côté fruit confit et encore un peu le côté floral que le rhum blanc pouvait apporter aussi. Cela offre un accord vraiment intéressant.

PDP. Pour les années à venir, comment vois-tu l’évolution du marché du rhum ? Et quels sont vos projets, vous, pour « coller » à ces tendances ?

FD. Toujours dans la lignée de notre identité, nous aimons proposer une gamme riche et complexe. Moi j’aime bien faire des expériences avec de nouveaux types de fût, des procédés différents etc… Donc pourquoi pas développer encore des produits assez particuliers ? Ou des vieillissements dans des fûts de deuxième main ayant contenu tel ou tel alcool ? Cela donne de bons résultats. Donc ça, c’est une partie des projets d’avenir en termes de produit.

PDP. Donc vous nous proposerez prochainement ce que l’on appelle des « finitions » ?

FD. Oui. Alors, chaque distillateur a ses petits dadas. Des finitions, il y a déjà pas mal de producteurs martiniquais qui en font. Nous, même si on en a fait, on n’a pas tellement communiqué dessus. On a plutôt fait des assemblages ou alors des cuvées particulières. Moi, plutôt que par des finitions, je serais intéressé par des vieillissements complets dans des fûts de « deuxième main », tels que nous le faisons depuis toujours, en testant de nouvelles origines, par exemple en fût de Sauternes. Pour voir ce que cela va apporter, déguster les différences.

PDP. Et bien on a hâte de goûter tout cela !

MDP. La Favorite a du succès, elle est même victime de son succès. Le fait que ce soit une petite unité familiale et artisanale peut-il vous freiner dans votre développement ?

FD. En ce qui me concerne, mon objectif n’est pas du tout d’augmenter ma production (400.000 litres par an, équivalent 55°). Parce que quand on augmente, il faut avoir plus de matières premières aussi. La matière première, la canne, est difficile à trouver. Ce que je veux, c’est faire de la qualité.

Le challenge, c’est la consommation qui augmente et les cuvées d’exception qui sont limitées. Nos monovariétaux ou parcellaires, comme La Digue ou Rivière Bel’air sont par définition des cuvées limitées puisque c’est la quantité de cannes que l’on sort de cette parcelle-là qui va permettre d’obtenir les litres de rhum pour les produire. Sur ces deux sélections parcellaires, on ne pourra donc pas en faire plus, par exemple.

Parcellaire « Rivière Bel’air, Récolte 2021 » © Jean-Albert Coopmann

Parcellaire « La Digue, Récolte 2021 » © Jean-Albert Coopmann

FD. Autre point, l’un de nos distributeurs, qui s’est bien développé, a multiplié par trois son nombre de clients. Une bonne chose, mais les cuvées comme La Digue, Rivière Bel’air  ou La Flibuste sont désormais à partager entre plus de clients.  Les cuvées d’exception, on ne peut pas en faire plus… Et même si je décidais du contraire, il y en aurait pour plusieurs années de patience ! En revanche, on aimerait arriver à développer davantage de sélections, de cuvées, pour tenter de satisfaire le plus grand nombre. Mais en ne distillant que 2,5% de la Martinique, il faut accepter que notre objectif se tourne à nouveau vers la qualité.

MDP. Je souhaite profiter de cet échange pour évoquer Emmanuelle Parent et Marie-Line Dormoy, deux figures aussi incontournables que toi, chez La Favorite. Leur investissement, comme celui de l'ensemble de votre équipe, a offert une remarquable impulsion à votre marque ces dernières années.

FD. Tu as raison, chacun a mis sa pierre. Emmanuelle a bien travaillé le marketing et la création de la boutique de la distillerie. Marie-Line, arrivée il y a presque 3 ans, pour toute la partie développement. On s’entoure de personnes particulièrement compétentes. Il y a également Gabriel, responsable de production, qui travaille à nos côtés depuis 40 ans, Charles aux Chais. Il y a aussi Célina, et bien d’autres… Toute cette équipe est faite de passionnés. Passionnés par notre histoire, par la marque, par la production, par notre terroir, et c’est cette passion qui nous pousse tous à faire de belles choses ensemble.

MDP. En parlant de belles choses, vous en avez comblé plus d’un en dévoilant votre nouvelle identité Cœur de Canne, notamment Philippe qui attendait cela depuis des années ! (rires)

La campagne publicitaire locale, plaçant Madame Jocelyne - à la mise en bouteille -, Monsieur Moïse - mécanicien -, Monsieur Jean-Claude à la chaufferie et Monsieur Charles en action, au cœur de vos photos, était particulièrement réussie. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

FD. En effet, ce sont nos employés qui travaillent là-dessus depuis longtemps et qui ont posé pour la photo. Pour cette étape charnière, ce Grand Millésime comme nous l’avons appelé, nous avons fait le choix de la sincérité. Valoriser ce que nous sommes, une équipe faite de femmes et d’hommes travaillant ensemble pour faire vivre La Favorite, pour faire exister l’artisanat martiniquais.

Campagne d'affichage « Madame Jocelyne » © La Favorite


« Monsieur Jean-Claude » et « Monsieur Moïse » © La Favorite

PDP. Et cela reprend bien l’esprit de votre entreprise familiale. Chez La Favorite, on travaille en famille et on est une grande famille.

MDP. Il y a aussi un état d’esprit. Il se passe quelque chose quand on vient dans votre distillerie. On entre, on ressort, et entre-temps il s’est passé quelque chose, hors du temps.

FD. C’est tout à fait vrai.

MDP. C’est cette âme aussi que l’on ressent et qui fait que vous êtes tant appréciés.

FD. Et bien vraiment merci pour ce que vous faites pour nous. On a besoin de vous car on ne peut pas tout faire. Vendre au consommateur final et relayer notre singularité, c’est ce que vous faites pour nous et vraiment merci à tous les deux !

MDP. PDP. C’est un plaisir et un honneur pour nous, Franck. Transmets nos amitiés à toute l’équipe et surtout longue vie à La Favorite !


L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.